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Personne ne sort les fusils / Lucbert sandra
Livre
Edité par Seuil
De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom- Orange. Sept dirigeants sont accusés d'avoir organisé la maltraitance de leurs salariés, parfois jusqu’à la mort. On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Ils ont même l’impression d’avoir bien réussi l’opération. L’ancien P-DG Didier Lombard a un seul regret : « Finalement, cette histoire de suicides, c'est terrible, ils ont gâché la fête ». Le problème de ce procès, c’est que les juges parlent la langue des accusés, et vice versa. Il n’y a pas d’extériorité possible. Et les plaignants, une fois de plus, sont laminés, malgré l’extraordinaire force de leur récit, de leur impossible récit. Sandra Lucbert a assisté à ce procès historique. En écrivain, elle a écouté, observé. Convoquant le Kafka de La Colonie pénitentiaire ou le Melville de Bartleby, mais aussi Rabelais avec ses « mots de gueule » contre les « paroles gelées », dans toute leur puissance métaphorique, elle propose un texte fulgurant et rageur contre la langue et la logique monstrueuses du capitalisme. Elle met au jour, avec une admirable finesse, la perversité des méthodes et de la novlangue managériales qui, au nom du libéralisme triomphant, brisent nos vies, nos esprits et nos corps. Elle nous met aussi face à ce constat : nous nous sommes habitués, ou peut-être lassés, et cela ne nous choque plus, ou plus assez. Nous nous sommes peut-être résignés. Mais le simple fait de faire réentendre les mots, les phrases, dans leur violence inouïe, a l’effet d’un réveil. Et ça fait mouche.
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Coup de coeur de la Médiathèque !
Ce texte, récit plutôt que roman, nous relate le procès France Télécom, qui a eu lieu en 2019. Sept dirigeants y étaient accusés d'avoir organisé la maltraitance des salariés et instauré un système d'entreprise visant à pousser à bout leurs employés, jusqu'à leur départ, et pour certain, jusqu'à leur suicide. Et c'est le récit d'un procès fantoche qui nous est fait, le procès d'un monde ultra-capitaliste qui se juge lui même, qui n'est pas ici pour être présenter à la justice, mais pour se justifier, se complaire, s'affirmer, pour triompher. Et en tant que journaliste, autrice, Sandra Lucbert écoute, ressent, et surtout traduit. Elle traduit cette novlangue d'entreprise, managériale, fait d'anglicismes, de vous-savez-bien, de c'est-comme-ça qu'on-fait, et qui sacralise le flow, l'argent, l'actionnaire au dessus de l'humain, de la variable sacrifiable. Décryptant et faisant des analogies avec des classiques de la littérature, elle remet l'horreur au centre des phrases et nous explique avec violence et acidité les raisons politiques et historiques qui ont conduit au drame. Les oreilles fines et la plume acérée, l'indignation et la révolte, c'est tout ce qui reste quand la législation, la politique, la langue et la communication déshumanisent à tour de bras. Un texte glaçant, littéraire, parfois vertigineux, qui nous ouvre les yeux et la poitrine.
Rolland Dion - Le 06 octobre 2020 à 13:13